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Le cri en EHPAD, un symptôme ?

Crier, c'est appeler, c'est se plaindre, gémir, c'est demander ce qui ne vient pas, mais c'est aussi protester, respirer, s'occuper ... et s'affirmer, exister.

Si l'on pense le cri comme un symptôme ... il s'avère être le signe de tous les maux qui peuvent atteindre les personnes âgées en institution. Vouloir en chercher la cause met les équipes en situation d'impuissance.

Comment penser le cri ? Comment aider les soignants à continuer de créer du sens et du lien ? Comment éviter que le cri ne fasse partie du décor sonore ?

Les textes suivants introduisent et résument un de mes mémoires de recherche à ce sujet.

On a installé Monsieur H. dans la petite cuisine à part, pour l'éloigner des autres résidents. Depuis une heure il hurle « MAMAN » avec sa voix de paysan des grands espaces. Je m'assois à côté de lui, j'essaie de comprendre, de trouver une réponse à ses cris incessants. « Pourquoi vous appelez votre maman ? » Petit sourire, haussement d'épaules: « Pff, c'est un appel comme un autre ». Il tient ma main mais se désengage de la conversation et enchaîne « MAMAN ! »

 

Monsieur L. ne criait pas à son arrivée. Puis il a commencé à se lever la nuit pour aller au travail, sonnait à répétition pour savoir la date. Parfois il criait la nuit, quand la réponse, pourtant donnée presque toutes les heures, ne semblait pas venir. Il a chuté, s'est cassé une hanche et ses cris se sont intensifiés. Un an de traitements divers plus tard, son historique de transmissions comprend 75 pages avec des mentions « crie +++ ». Un jour la cadre demande « Pourquoi vous criez comme ça, je suis juste à côté de vous ? » Réponse : « Parce que ça me fait du bien ».

 

Le même Monsieur L. a été hospitalisé pendant un mois en psychiatrie pour « équilibrer son traitement ». A son retour, il ne marche plus, ne mange plus seul, garde les yeux fermés en permanence, et crie toujours. Avec ma collègue, ASH expérimentée, on va le trouver dans sa chambre pour voir ce qu'on peut faire pour lui. Ma collègue essaye de le faire boire, mais il pousse des « ho » continuels ». Elle se retourne, me dit « C'est devenu un TOC ». Nous sortons de la chambre.

  Le cri des résidents en EHPAD a reçu à ce jour très peu d'attention en France. L'article princeps (Manière, 2000) affirme que « le cri doit être considéré comme un symptôme » qui « implique une approche médicale classique suivie d'une analyse gérontologique (...) pluridisciplinaire (...) ». Cet auteur propose une démarche étiologique en tant que socle de la prise en charge. Partant d'une participation observante du quotidien d'un EHPAD, la présente recherche avance une lecture différente et complémentaire du cri sur un double versant théorique et clinique. La théorie interactionnelle de la communication amène à voir le cri avant tout comme un acte de communication problématique dont l'échec induit des modifications relationnelles. Une analyse compréhensive de six entretiens collectifs avec des soignants de base, conduits selon la méthode des focus groups, appuie cette hypothèse et montre comment la difficulté interactionnelle met en péril l'équilibre routinier de la pratique soignante sans pour autant donner lieu à une véritable démarche de résolution de problème. Une analyse interactionnelle indique les limites de l'espace de recherche de solution des soignants et les points sur lesquels pourrait s'appuyer une intervention clinique auprès des équipes.

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